Alexandru Vlahuță

LA ROUMANIE PITTORESQUE - MELEDIC

1901

Après plusieurs jours d'équitation et de tremblements, et des nuits blanches dans les bergeries, pour s'asseoir à l'envers dans une chaise douce, par une claire soirée d'été, dans le silence solennel des montagnes, sous un ciel étoilé, vous écoutez un étranger intelligent qui a voyagé, beaucoup de gens vous ont vu l'écouter parler avec étonnement de votre pays, de ses beautés et de ses richesses, voici un bonheur qui vous laisse en vie traînées de lumière indélébiles, chemins le long desquels vous chérissez vos souvenirs.

Nous sommes à Meledic, l'une des ouvertures les plus larges de Capaţii Buzăului. L’endroit où nous sommes, un sommet élevé à partir duquel nous regardons toute la vallée de Meledic et les montagnes lointaines qui l'entourent, s'appelle "Gruiul Haiducilor". Un château fier se dresse au bord du lac, des fleurs nous entourent, les étoiles tremblent dans le lac, les eaux de Slănic coulent doucement sur la vallée.

- Dieu, tu as encore un beau pays ... Ta terre est vraiment une mère qui te dorlote: elle te donne, presque tout, et ce n'est pas toujours une bonne chose, elle te donne les fruits les plus généreux et savoureux, les grains les plus recherchés d'Europe, et les vins que nous, à Paris, parlons de contes de fées. Ailleurs, vous travaillerez et lutterez dur pour combattre le sol, pour arracher une partie de ses richesses, sans parler des pays froids où la terre est pauvre et où les gens sont dans le besoin à demander aux mers de la nourriture que la terre ne peut pas leur donner. Ici, j'ai vu de vastes pâturages laissés à l’bandon, des forêts sans limites qui semblent avoir poussé uniquement pour l'ornement des montagnes et l'abri des bêtes, des ruisseaux de sel et des rivières de mazout qui, par eux-mêmes, jaillissent des profondeurs, venant avec impatience vers vous. Je pensais, hier, à Lopătari, quand j'ai vu sur la colline ces flammes, translucides, tremblantes au soleil, je m’imaginais ... peut-on ne pas rêver dans un pays comme le vôtre? ... J'imaginais que, sur cette colline du Smolean, une ville prendrait racine, qui s'échaufferait et s'éclairerait avec un gaz si propre, exploité soigneusement et généreusement offert par votre bonne terre, et que toutes ces montagnes, les belles montagnes de Buzau, qui ont des lacs, de l'ambre et de l'or, ouvriraient soudain leurs trésors cachés et les déverseraient sur cette ville, sur tout le pays ... quelle nuit divine, et comment elle vous pousse à parler et avoir des illusions ! ... Dites la vérité, si votre pays, que je suis sûr que vous devez l’aimer, ne vous fait pas souvent rêver, en mille et une nuits. En tout cas, avouez que vous êtes un peuple heureux.

- Nous devrions l'être. Mais je vous disais quelle histoire troublée nous avons eu - une lutte presque toute notre vie, un champ de massacre ... Encore aujourd'hui, nos paysans trouvent des flèches où ils labourent, des éperons et des sabots rouillés, des os de cheval mélangés à ceux de nos éros. Pendant que vous travailliez tranquillement et érigiez les autels de la lumière occidentale, nous avons gardé, des gardes fidèles et sans sommeil, aux portes des Carpates, nous avons combattu les pauvres, inconnus et sans défense, et défendu de notre sang votre paix sainte et fructueuse. ... Le garde mourant, comme vous le dites dans votre langue fière, meurt, mais ne se rend pas. Nous étions ce garde!

Vous voyez, nous ne vous sommes pas tout à fait étrangers, nous avons aussi mis quelque chose de loin, à cette grande lumière, vers laquelle seulement maintenant, pendant plusieurs années, pouvons-nous tourner le visage et boire, à son éclat, nos âmes si assoiffées, depuis des siècles assoiffés. Notre peuple est toujours dans la peur des dangers qu'il a traversés. Il n'est pas un épargneur, il s’est épargné tant de fois, il a été pillé des milliers de fois; il n'a pas confiance en la justice et l'ordre humain, car il a toujours fait confiance et a toujours été trompé, tant par les hommes que par le destin. Il est maintenant, le pauvre, comme un bon enfant doux, doté des plus belles qualités, des trésors cachés qui dorment encore dans son âme, comme sur la terre sur laquelle il vit, et le jour où, éclairé et éveillé à la vraie vie, seront appelés à leur montrer, il n'y aura pas de peuple meilleur, plus généreux et plus habile, que le Peuple Roumain.

Et puis, mon cher monsieur, votre beau rêve, notre rêve à tous, ne sera plus un rêve ...

-La Roumanie pittoresque est un volume de prose publié en 1901 par l'écrivain roumain Alexandru Vlahuță et qui constitue un véritable atlas géographique de la Roumanie du début du XXe siècle.